Critique écrite par Quentin Guisgand qui est le premier Guest de TheDreamTeam

Cette exposition outre-atlantique constitue un événement car elle met à l’honneur deux modes d’expressions qui n’ont que rarement droit de cité dans le milieu très fermé des institutions culturelles mondiales : la culture alternative punk et le monde de la (haute) couture. Il fallait donc que ce soit le Metropolitan Museum, institution américaine toujours audacieuse dans le choix de ses d’expositions (on se rappelle de celles consacrées au baseball ou la photographie à l’épreuve de la retouche sur Photoshop), qui relève le défi et permette à ces deux pans fondamentaux de notre culture contemporaine de dialoguer autour d’une exposition qui dure jusqu’au 14 août 2013.

Tout au long de 4 grandes salles sont exposées des somptueuses tenues créées par des couturiers hauts en couleur, adeptes de la provocation vestimentaire et ardents pourfendeurs des codes esthétiques usuellement admis. De Vivienne Westwood à John Galliano, d’Alexander McQueen à la Maison Martin Margiela, autant de créateurs atypiques et d’enfants terribles de la mode qui rendent hommage à la culture punk des années 70 dans ce qu’elle a de plus viscérale. Une vision décalée, ténébreuse ou colorée, qui prend le contre-pied des grandes messes dont sont habituées les afficionados des podiums parisiens ou milanais.

Comme Des Garçons

Des tenues sublimes donc, comme autant de témoins de l’admiration que ces couturiers cultivent envers un mouvement résolument à contre-courant. Telle cette robe noire sculptée à partir de matériaux synthétiques imitant la texture des sacs poubelles, qu’Alexander McQueen dessina pour sa collection 2009/2010, et qui rend hommage à la tendance qu’ont les punks à réutiliser des matériaux non-nobles dans leur habillement. Ou encore cette robe noir trashy traversée de chaines d’un rouge sang, comme autant d’éclairs meurtriers déchirant un ciel d’orage, que Nicolas Ghesquière créé en 2004 pour la maison Balanciaga.

Rodarte

De véritables œuvres d’art qui s’égrainent dans une scénographie qui tend à constituer un véritable environnement total si cher aux artistes et curateurs américains depuis les années 70. La musique des Sex Pistols entre en résonance avec les témoignages d’acteurs de la scène punk de l’époque. Les couleurs claquent et les sons se mêlent depuis d’énormes écrans led fondus dans un décorum tantôt dark, tantôt faussement chic, toujours enveloppant. Une licence extravagante flotte entre les robes, sans que pourtant notre curiosité ainsi que nos sens en émoi ne soient rattachés à quelque chose de réellement intelligible.

En effet, si l’exposition prend le parti de montrer comment de grands couturiers contemporains se sont inspirés des moyens, méthodes et codes mis en place par la génération punk aux États-Unis et en Grande-Bretagne, elle se contente d’en exposer les vaporeuses émanations et néglige de faire les parallèles indispensables pour en avoir une meilleure compréhension. Si elle s’ouvre sur une réplique des toilettes du CBGB (« Country Bluegrass, Blues and Other Music For Uplifting Gormandizers », un club punk du New York des années 70) et qu’elle se poursuit avec une reconstitution du premier magasin de Vivienne Westwood et Malcolm McLaren à Londres, elle n’explore que peu les ressorts dont se sont servis les couturiers afin de puiser leur inspiration dans un imaginaire punk souvent peu connu du grand public. Quelques panneaux explicatifs, mais rien de plus qui aurait pu guider le visiteur dans les nécessaires croisements entre ces deux disciplines si différentes et toutes deux souvent reléguées hors des grands circuits de l’art contemporain. De fait, au lieu de donner une reconnaissance méritée à ces deux formes d’expression, l’exposition se contente d’en donner une vision express, un « glimpse » qui ne correspond ni à l’enjeu de la confrontation, ni aux artistes et créateurs qui lui ont donné vie.

Heureusement pour nous, le catalogue de l’exposition, joli objet d’édition noir et mat, créé d’heureux parallèles entre la mode punk telle qu’inventée, portée et affichée par ces acteurs les plus prestigieux et la mode punk version haute couture, réinventée et forcément désaxée. Le catalogue permet cette exploration du phénomène car il dépasse la simple réutilisation aseptisante et glamour de codes contestataires et rebelles tels que le DIY (« Do It Yourself »), la récupération des rebuts de la société de consommation, la déchirure et la liberté de composition. Il rend justice à l’idée géniale de rapprocher ces deux courants : le punk rebelle par nécessité et la mode par nature. Car imaginer de nouvelles façons de se vêtir et de se montrer, qu’est-ce d’autre que de chercher à inventer de nouvelles façons de vivre ?

Metropolitan Museum, NYC // jusqu’au 14 août 2013