En 2021, pour ses soixante ans de diptyque, la Maison fait à nouveau la démonstration des collaborations multiples en ouvrant les portes d’une exposition – dans la Poste du Louvre récemment rénovée par Dominique Perrault – intitulée Voyages Immobiles – Le Grand Tour, réunissant neuf artistes internationaux : Joël Andrianomearisoa, Andreas Angelidakis, Johan Creten, Gregor Hildebrandt, Chourouk Hriech, Rabih Kayrouz, Ange Leccia, Zoë Paul et Hiroshi Sugimoto, sous le commissariat de Jérôme Sans, co-fondateur du Palais de Tokyo à Paris et commissaire d’exposition reconnu internationalement pour sa vision transversale.

JOËL ANDRIANOMEARISOA

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Hommage au Paris littéraire, première destination et point d’ancrage historique de diptyque, l’installation Time after Time, constituée de deux oeuvres, convoque une errance émotionnelle et esthétique à travers les oeuvres de papier de l’artiste malgache Jöel Andrianomearisoa. Poète marchant sur le monde, il célèbre la renaissance d’un nouveau temps, avec Un temps après la jeunesse, un « récit mêlant présent, projection et mélancolie » qui se déploie sur 34 panneaux, 34 comme 34 boulevard Saint-Germain, l’adresse historique de la Maison et comme autant d’histoires possibles, car « Paris est un roman ». Et un roman parfumé aux notes de bois ciré des antiquaires, de pavé parisien et de pages de livres anciens. Cette édition dialogue avec l’installation The Labyrinth of Passions. Métaphore de la fragilité comme force essentielle de la vie, ces méandres élégants de papier forment un paysage monochrome, un opéra total, une architecture aérienne, en mouvement permanent. Les froissements de papier de soie en cascades, sensibles aux vibrations, aux courants d’air, aux respirations et aux mouvements corporels des visiteurs s’animent d’une musicalité susurrée et fugace.

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Portrait : D’abord attiré par l’architecture, l’artiste malgache Joël Andrianomearisoa fait converger la poésie, l’énergie de la mode, la performance, l’installation et la scénographie, au sein d’un univers polyphonique qui envahit l’espace sensible de chacun et se développe autour d’une narration souvent abstraite qu’on perçoit sans pouvoir la nommer. Son monde des formes tisse son ouvrage en séquences, sondant le plus souvent la tristesse d’une absence impossible à combler. Il utilise pour cela, sans hiérarchie, le son ou le livre, le textile ou le plastique, le noir et aussi les couleurs.

Le travail de Joël Andrianomearisoa s’est ainsi développé au fil du temps au travers de différents médiums et matières : textiles, papiers, bois, minéraux ou objets plus inattendus (miroirs, parfums, emballages, tampons, etc.) avec lesquels il provoque l’émotion. Il est aussi un grand collectionneur de textiles, de vêtements et de papiers divers qu’il déchire, découpe et tisse pour former des collages à l’instar de ces superpositions de papiers de soie en cascades qu’il déploie dans une monumentalité architecturale. À travers elles, il évoque les tragédies des corps politiques, de l’amour, de la violence, de la sexualité, de l’économie, du monde, de la marginalisation. Joël Andrianomearisoa insiste sur l’intimité et la fragilité en cartographiant les pensées, les émotions et les réalités sociales dans des environnements attirants bien que mystérieux convoquant souvent la métaphore du labyrinthe de nos passions.

GREGOR HILDEBRANDT

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Aux soupirs de l’oeuvre de Joël Andrianomearisoa répondent les bandes magnétiques muettes de l’installation dédiée à Venise de l’artiste allemand Gregor Hildebrandt. Un voyage dans les sillons du temps et les archives musicales et cinématographiques inspirées de la grande histoire vénitienne. Une destination pleine de sens pour l’artiste, qui y a réalisé une série d’oeuvres à ses débuts puis n’a cessé de s’en inspirer. Immersive, son installation court sur les murs comme une seconde peau, un corps vivant. Gregor Hildebrandt déploie dans une monumentalité inédite sa fameuse technique du « Rip-off », qui se double ici de peintures « arrachées » en bandes magnétiques présentées toujours par paires, comme une version positive – négative d’un même motif ou la face A et B d’une cassette ou d’un vinyle. Une vibration imperceptible se crée dans l’espace qui s’estompe progressivement du noir vers le blanc au fil du déplacement. Réminiscences de l’architecture vénitienne, des colonnades d’influences brancusiennes et baroques en vinyles thermoformés comme une même forme matricielle, dialoguent avec d’autres oeuvres de Gregor Hildebrandt inspirées par la musicalité de Venise, ses chapelets d’îles, son Grand Canal, son architecture, ses arts décoratifs, ses muses cinématographiques, ainsi qu’avec l’édition la Laguna de l’artiste belge Johan Creten.

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Portrait : Réalisées à partir de bandes magnétiques de cassettes audio et VHS ou de disques vinyle, les oeuvres de Gregor Hildebrandt sont autant d’hommages aux productions musicales ou cinématographiques qui ont marqué son inconscient culturel. Cet artiste conceptuel d’origine allemande transforme depuis plus d’une vingtaine d’années les vestiges des technologies analogiques en sculptures, peintures et installations monumentales qui se déploient telles de vastes membranes murales. Les « non-couleurs » — le noir, le blanc et le gris — dominent sa pratique. Ses motifs monochromes placent l’énergie, l’émotion et la nostalgie au premier plan, notamment à travers les titres choisis. L’artiste nous transporte dans des univers culturels qui s’entremêlent à nos souvenirs. La musique, utilisée comme motif, imprègne de ses mythes la surface de l’oeuvre qui se charge d’un potentiel à la fois intimiste et historique. La bande magnétique, vestige obsolète d’une époque où la musique était soumise à l’usure comme un corps vivant, devient l’élément abstrait dans lequel se projeter pour partager une mémoire culturelle commune.

Jusqu’au 24 octobre 2021
Du lundi au dimanche de 11h à 19h / Nocturne le jeudi jusqu’à 21h
Espace d’exposition de la Poste du Louvre, 52 rue du Louvre, Paris 1er

https://exposition-voyages-immobiles.diptyqueparis.com/