En 2021, pour ses soixante ans de diptyque, la Maison fait à nouveau la démonstration des collaborations multiples en ouvrant les portes d’une exposition – dans la Poste du Louvre récemment rénovée par Dominique Perrault – intitulée Voyages Immobiles – Le Grand Tour, réunissant neuf artistes internationaux : Joël Andrianomearisoa, Andreas Angelidakis, Johan Creten, Gregor Hildebrandt, Chourouk Hriech, Rabih Kayrouz, Ange Leccia, Zoë Paul et Hiroshi Sugimoto, sous le commissariat de Jérôme Sans, co-fondateur du Palais de Tokyo à Paris et commissaire d’exposition reconnu internationalement pour sa vision transversale.
JOHAN CRETEN
Cette vision de la mythologie de Venise se poursuit dans la salle suivante avec les oeuvres de Johan Creten. Pour l’artiste « Venise est la ville de tous les fantasmes, un mirage, un fantôme, une sirène, une ville à la beauté brutale et vive, décadente et délirante. » La sirène et l’eau n’y sont pas qu’une force de séduction et de vie mais aussi une force de mort. Figure énigmatique, la sirène est une présence qui alarme d’un monde en disparition, et créée une émotion qui nous submerge. De la première grande sculpture, en terre, qui n’est pas figurative, jaillit une émotion provenant du travail instinctif de la terre. Dans un jeu de contraste, la seconde grande sculpture, en résine, se révèle dans toute sa transparence et sa contemporanéité, laissant deviner sa structure interne. Ses deux sculptures dialoguent avec un ensemble de bronzes portatifs vénitiens provenant de la collection personnelle de l’artiste. Ces sculptures de différentes dimensions font référence à son processus créatif puisqu’à la genèse de chaque oeuvre, Johan Creten réalise de petites sculptures d’argile qui voyagent avec lui, s’imprègnent de sa vie et de ses expériences, avant de renaître dans une échelle plus grande pour rejoindre d’autres destinations. L’ensemble résonne avec son édition La Laguna présentée dans l’installation de Gregor Hildebrandt : miniature en bronze d’une sirène plongée dans une cire d’un bleu vert translucide, aux couleurs et aux parfums à la fois verts et iodés de la lagune, elle apparaît à mesure que la bougie se consume, rappelant les eaux vénitiennes menaçantes de l’acqua alta.
Portrait : Reconnu comme l’un des principaux sculpteurs ayant contribué au renouveau de la céramique dans l’art contemporain, l’artiste Johan Creten travaille de façon itinérante depuis près de quarante ans, du Mexique à Rome, de Miami à La Haye. Il commence à travailler l’argile à la fin des années 1980. S’il justifie son attirance pour la terre, cette « matière pauvre, sale, ordinaire, vulgaire presque, mais qui nourrit », le bronze est également selon lui « une sorte de tabou dans le monde de l’art contemporain, de par son lien très fort à l’histoire, au métier, à un art bourgeois et à cette
idée de créer une oeuvre pour l’éternité ». Célèbre pour ses sculptures allégoriques en céramique et en bronze, il poursuit depuis les années 1990 ses représentations d’un monde plein de poésie, de lyrisme et de mystère. Ses oeuvres soulignent l’importance de la beauté dans son travail, tout en réaffirmant sa conscience humaniste et la résonance sociale et politique de sa pratique. Dans son processus de création, Johan Creten évoque la nécessité d’un ralentissement, d’un retour à l’introspection et à l’exploration du monde avec ses tourments individuels et sociétaux.
ANGE LECCIA
Quittant le bruissement sonore et parfumé de Paris et les voix de la Lagune, l’exposition se prolonge avec Arrangement. Globes terrestres de l’artiste corse Ange Leccia. Il faut alors lever les yeux vers le ciel pour embrasser un horizon plus large. Des globes qui s’ils appartiennent à une tradition ancienne liée à l’histoire de la géographie, produisent ici une chaleur visuelle et poétique propre au monde contemporain grâce à l’usage du ready-made et de la lumière électrique. La figure archétypale du globe terrestre est, ici, démultipliée pour nous abriter sous un plafond de mondes sans frontières, vers un voyage infini. À l’heure de la mondialisation, la répétition de la mappemonde lumineuse qui démultiplie l’image de la Terre, met en perspective la fragilité des écosystèmes dont l’artiste nous invite poétiquement à prendre conscience.
Portrait : Ange Leccia mène une réflexion sur l’objet et sur l’image en mouvement, à travers une double activité de plasticien et de cinéaste. Mêlant fréquemment des références cinématographiques dans ses oeuvres, il emprunte son vocabulaire à l’histoire du cinéma : la lumière, le temps, l’espace sont les matières premières de ses vidéos. Dans les années 1980, la série Arrangements, face-à-face d’objets industriels dans la lignée des ready-made de Marcel Duchamp, lui a permis d’acquérir une reconnaissance internationale. Dans les années 1990, il réalise des oeuvres vidéo basées sur la répétition de phénomènes naturels. Favorisant un ralentissement de notre perception, ses images poétiques mettent en évidence les points de rencontre entre les choses et les éléments. Pour évoquer ses dispositifs filmiques, il ne parle pas d’images, mais de « stations » : temps d’arrêt, alerte visuelle, moment d’observation, lieu et moment de réception et de diffusion. Il se définit comme un « manipulateur d’évidences », refusant dans son travail l’idée de fabrication. La répétition d’objets ou d’images en boucle permet au spectateur de saisir l’oeuvre dans l’instant ou de l’appréhender dans le temps, comme la contemplation d’une image-mouvement.
Jusqu’au 24 octobre 2021
Du lundi au dimanche de 11h à 19h / Nocturne le jeudi jusqu’à 21h
Espace d’exposition de la Poste du Louvre, 52 rue du Louvre, Paris 1er
https://exposition-voyages-immobiles.diptyqueparis.com/