En 2021, pour ses soixante ans de diptyque, la Maison fait à nouveau la démonstration des collaborations multiples en ouvrant les portes d’une exposition – dans la Poste du Louvre récemment rénovée par Dominique Perrault – intitulée Voyages Immobiles – Le Grand Tour, réunissant neuf artistes internationaux : Joël Andrianomearisoa, Andreas Angelidakis, Johan Creten, Gregor Hildebrandt, Chourouk Hriech, Rabih Kayrouz, Ange Leccia, Zoë Paul et Hiroshi Sugimoto, sous le commissariat de Jérôme Sans, co-fondateur du Palais de Tokyo à Paris et commissaire d’exposition reconnu internationalement pour sa vision transversale.
ZOË PAUL
Une autre vision de la Grèce est proposée plus loin par Zoë Paul qui puise son inspiration dans l’iconographie de l’art antique et les scènes mythologiques grecques. Un récent voyage au village de Miliès, en Thessalie, l’amène à découvrir une grotte, connue pour être l’antre du centaure Chiron, guérisseur, réputé pour sa sagesse, sa science et ses connaissances botaniques et médicinales. L’esprit enchanteur du lieu et sa spiritualité ont inspiré à l’artiste The Cave of Chiron : un petit rideau de perles en céramique, dessinant une main, élément récurrent dans le travail de l’artiste et référence à cette créature légendaire. La main, tel un symbole sacré renvoyant au soin, à l’amour et à l’art est ainsi évocatrice d’un regard bienveillant sur l’humanité. L’émotion première de l’artiste est complètement retranscrite grâce au parfum d’immortelle, de cyprès et de figuier dégagé par un palet de porcelaine caché dans la couronne en étain. Dialogue avec cette oeuvre un ensemble de sculptures de fragments de corps ainsi que des vases anthropomorphes, posés sur des socles en bois travaillés et usés par le temps. Organiques, vivantes, disloquées ces sculptures sont sans doute les réminiscences d’une blessure que viendrait apaiser cette figure salvatrice qu’est Chiron. Hommages à la nature et à la vie, elles sont aussi une réflexion sur les aléas du temps, la sédimentation de l’histoire et de ses traces dans la mémoire collective.
Portrait : Le travail de Zoë Paul prend sa source dans l’iconographie de l’histoire de l’art antique, et plus particulièrement sur la représentation des figures pour comprendre nos corps humains en relation avec l’espace qu’ils habitent. Elle utilise des matériaux bruts et intemporels et des techniques tels que l’argile, le tissage et le dessin, dont les processus et les savoir-faire sont profondément enracinés dans les sociétés et la création des communautés. Ses oeuvres, souvent participatives, tels les grands rideaux de perles à la frontière de la mosaïque et du pixel, explorent notre relation à la tradition et nos perceptions de l’Histoire, des liens sociaux et de la valeur d’un objet. Interrogeant les notions de temporalités et d’espaces privés, tant au niveau architectural que social, son oeuvre s’affranchit des frontières entre intérieur et extérieur, public et privé, à l’image des fragiles rideaux tendus à l’entrée des maisons méditerranéennes. Explorant notre relation entre tradition et artisanat, ces oeuvres témoignent d’une certaine physicalité, d’une attirance pour la matière, la trace de la main de l’artiste.
ANDREAS ANGELIDAKIS
D’une histoire à une autre, Athens by Night, un environnement immersif de l’artiste grec Andreas Angelidakis transforme le voyage à travers des vestiges de la cité antique en une expérience sensorielle et virtuelle, contestant l’histoire d’Athènes à celle d’autres futurs possibles. Des gravures de ruines en all over s’emparent des murs sur lesquels des écrans — comme depuis les fenêtres d’une voiture sillonnant la ville — diffusent une myriade d’images orphelines trouvées librement sur Creative Commons. L’artiste parle de « post-ruines » ou de ruines à l’ère digitale au sujet de ces milliers de données, d’images et d’histoires qui viennent s’évanouir dans les méandres d’une mémoire collective numérique. Par ailleurs, des modules de mousse, transposition de fragments archéologiques de marbre grec, invitent les visiteurs à se prêter à un jeu de construction collectif à échelle humaine, visant à reconstruire un monde commun.
Portrait : Formé à l’architecture avant de se tourner vers l’art, Andreas Angelidakis se décrit volontiers comme « un architecte qui ne construit pas ». Il conçoit sa pratique comme de « l’architecture par l’exposition », à mi-chemin entre la tradition de l’architecture de papier et les pratiques artistiques participatives. Présentés comme des installations immersives à coconstruire avec le public, ses modules Soft Ruins malléables peuvent être assemblés à l’infini, transformés en de nouveaux espaces habitables et ludiques. Fasciné par les ruines du paysage urbain athénien, aussi bien antiques que récentes — celles des bâtiments contemporains abandonnés suite à la crise —, il convoque la notion de « post-ruine », télescopant différentes temporalités dans l’ultra-contemporanéité. Grâce aux logiciels de conception et à Internet, il construit des mondes virtuels propices à l’émergence d’autres formes de socialité à l’ère des réseaux sociaux — des architectures digitales à reconfigurer dans l’espace d’exposition. Dans ses vidéos et animations 3D, il aborde la question de la spécificité des sites archéologiques en cette période d’ubiquité numérique, anticipant les ruines en devenir de notre époque contemporaine.
Jusqu’au 24 octobre 2021
Du lundi au dimanche de 11h à 19h / Nocturne le jeudi jusqu’à 21h
Espace d’exposition de la Poste du Louvre, 52 rue du Louvre, Paris 1er
https://exposition-voyages-immobiles.diptyqueparis.com/